Le 19 juin 2025, le ministre d’État Jacques Fame Ndongo a publié un long plaidoyer politique, mêlant nostalgie, lyrisme partisan et avertissements voilés contre ceux qui, à ses yeux, oseraient défier ou « occire politiquement » le président Paul Biya. Derrière ses envolées rhétoriques et sa loyauté affichée au chef de l’État, ce texte soulève une série de questions fondamentales sur l’état de la démocratie camerounaise, la succession politique, la pluralité des voix et le sens même du mot « changement » dans une République prétendument pluraliste. Il mérite une réponse critique, honnête et lucide.
1. La sacralisation d’un homme, au détriment d’une nation
Lorsque Fame Ndongo cite Paul Biya : « Veut-on changer l’homme par qui le changement est venu ? », il érige le président en figure presque christique, incarnation du salut politique national. Cette formule, qui pourrait prêter à sourire, soulève en réalité une inquiétante dérive : celle de la confusion entre un individu et une institution, entre un destin personnel et l’histoire d’un peuple.
Un président n’est pas la République. Il est son serviteur. Lui demander, après plus de 40 ans de règne, de passer le flambeau n’est ni une insulte ni un parricide. C’est un impératif démocratique. C’est l’essence même de l’alternance, sans laquelle il n’y a ni vitalité politique, ni espoir collectif.
2. Une lecture partiale de l’histoire récente
Le ministre Fame Ndongo se réfère à des discours de 1991 et 1992, en pleine période des « années de braise », pour rappeler que la liberté d’expression et le multipartisme sont des acquis imputables à Paul Biya. Mais il omet un fait central : ces acquis ont été arrachés par des Camerounais courageux, souvent au prix de leur liberté, voire de leur vie. Ils ne furent pas des dons gracieux, mais des concessions imposées par les mobilisations populaires et les pressions internes et internationales.
Et depuis ? Les élections présidentielles de 2018 ont vu une montée historique de l’opposition, mais ont également été entachées de soupçons de fraude, de répression, d’arrestations arbitraires et de musèlement des voix dissidentes, dont celle du Pr Maurice Kamto et de ses alliés. Le Conseil constitutionnel, présidé par des proches du régime, a rejeté toute contestation sans investigation crédible. Est-ce cela, la démocratie ?
3. La démocratie au Cameroun : pluralisme ou illusion institutionnelle ?
Fame Ndongo vante la création du Sénat, du Conseil constitutionnel, de la CONAC et d’autres institutions comme des signes de modernité démocratique. Mais à quoi sert un Sénat où la majorité est nommée par le président ? Un Conseil constitutionnel qui n’a jamais invalidé une élection ? Une décentralisation à géométrie variable sans autonomie réelle ?
Ces institutions existent, oui. Mais leur indépendance, leur fonctionnement effectif et leur crédibilité sont gravement compromis. La démocratie ne se mesure pas à la quantité d’organes créés, mais à leur capacité à jouer pleinement leur rôle.
4. Une attaque déguisée contre la jeunesse et la diversité politique
Fame Ndongo s’en prend à ceux qu’il appelle des « groupuscules », des « aigris », des citoyens qui oseraient réclamer l’alternance. Il ridiculise leur légitimité et oppose à leurs critiques la grandeur de Paul Biya. Mais que dit cette rhétorique ? Qu’il n’existe au Cameroun aucune autre intelligence politique possible ? Aucun autre projet national crédible ?
L’idée que demander le départ d’un président de 92 ans, au pouvoir depuis 1982, serait un crime contre la République est non seulement absurde, mais dangereuse. Elle nie le droit au débat, au renouvellement, à la critique. Elle enferme le pays dans un culte de la personnalité incompatible avec l’État de droit.
5. Le Sud est-il la patrie exclusive du pouvoir ?
Fame Ndongo va jusqu’à demander aux populations du Sud de ne pas « adhérer à la tentative de parricide politique ». Cela suppose que le président appartient à une région et que cette région lui doit loyauté éternelle. Cette vision est tribale, réductrice, et va à l’encontre de l’idéal républicain.
Le Cameroun n’est pas une monarchie ethnique. La présidence n’est pas l’apanage d’un groupe. Et Paul Biya, s’il est président de tous, ne devrait pas être défendu sur la base de son origine géographique. La nation est une, et sa direction doit être ouverte à toutes ses composantes.
6. Et après ?
Le ministre conclut en disant que le futur appartient aux électeurs. Encore faut-il que ces électeurs puissent choisir librement, dans des conditions équitables, avec une compétition ouverte, transparente, et sans exclusion arbitraire.
C’est cela, le vrai test de démocratie. Non pas les hommages dithyrambiques à un homme au crépuscule du pouvoir, mais la capacité d’un peuple à organiser sa relève, à débattre sereinement, à voter sans peur, et à croire, encore, que l’avenir ne sera pas une copie fatiguée du passé.
Conclusion : pour que la patrie ne devienne pas prison
Paul Biya n’est pas éternel. Il n’est pas le seul à avoir servi ce pays. Il est temps qu’il prépare sa sortie avec grandeur et responsabilité, s’il souhaite vraiment laisser un héritage. Car tout pouvoir qui refuse de passer la main finit par lasser, détruire, puis sombrer.
Et ceux qui aiment vraiment le Cameroun devraient le dire.
La nation n’a pas besoin de dogmes. Elle a besoin de renouveau, de vérité, de courage. Elle a besoin d’un changement non pas cosmétique, mais structurel. Et cela commence par reconnaître que demander l’alternance n’est pas un crime.
C’est un droit. C’est une nécessité. C’est une respiration démocratique.
— Dr. Adelaide Madiesse Nguela
“Les propos tenus dans cette tribune n’engagent que leur auteur”