Par Adelaide Madiesse Nguela
La réponse de Luc Sindjoun au discours de Maurice Kamto à Paris, publiée sous la bannière du RDPC, n’est pas qu’une simple critique : c’est un texte politique stratégique, destiné à défendre le statu quo, à délégitimer un opposant de premier plan, et à façonner la perception des enjeux de l’élection présidentielle de 2025. C’est une prise de position idéologique, rhétorique, marquée par des références nationalistes, morales et pseudo-légalistes.
Voici une analyse critique de ce discours, de ses intentions, de ses contradictions et de ses implications.
1. Un bouclier intellectuel au service du régime En qualifiant le système politique camerounais de « transparent », « compétitif » et « sincère », Luc Sindjoun tente de masquer une réalité autoritaire sous une apparence de légalité constitutionnelle. Ce discours entre en contradiction flagrante avec les faits vécus par les citoyens, les rapports d’observateurs internationaux et la répression documentée contre les opposants politiques, dont Maurice Kamto. Le recours à un langage universitaire vise à donner une aura de respectabilité à un régime perçu comme verrouillé, gérontocratique et réfractaire à toute alternance. Or, le simple fait de consacrer autant de pages à défendre l’âge du président et à attaquer l’opposition révèle une chose : une insécurité institutionnelle grandissante.
2. Une tentative coordonnée pour fragiliser Kamto avant l’échéance électorale Le texte fonctionne comme une frappe préventive contre la candidature de Kamto en 2025. Bien qu’il concède qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à sa participation, Sindjoun introduit subtilement l’idée que son boycott des législatives de 2020 pourrait compromettre sa légitimité. Ce raisonnement est déjà largement repris par les cercles proches du pouvoir pour justifier, à terme, une disqualification camouflée sous des atours juridiques. En somme, il prépare l’opinion à une possible exclusion habillée en procédure.
3. Une déformation du message de l’opposition Accuser Kamto d’avoir insulté le peuple en parlant de football et de bière est une manipulation rhétorique. Le professeur Kamto ne méprise pas la culture populaire, il dénonce une stratégie de diversion, un climat où la politique est rendue lointaine pour mieux désengager les citoyens. Derrière cette caricature, Sindjoun cherche à le présenter comme déconnecté, élitiste, presque étranger à la réalité camerounaise. Une technique classique pour délégitimer les réformateurs.
4. La politique de la respectabilité comme arme Défendre Paul Biya au nom du respect dû à l’âge, c’est enfermer le débat démocratique dans une morale sélective. Sindjoun assimile toute critique à de l’« âgisme », donc à une faute éthique. Il transforme une question politique légitime (la longévité au pouvoir) en un tabou moral. Ainsi, la dissidence devient déviance. Interroger Biya, c’est être impoli, voire antipatriotique. On bascule dans une logique où seule la soumission est vertueuse.
5. Une mise en garde à peine voilée contre toute contestation post-électorale La manière dont Sindjoun rejette la notion de « légitime défense » dans le cadre électoral est révélatrice. Il présente toute alerte sur les risques de fraude ou d’irrégularités comme une incitation à la violence. Cela prépare les esprits : toute contestation en 2025, aussi pacifique soit-elle, sera étiquetée « insurrectionnelle ». Une manière de justifier par avance la répression, dans la droite ligne de ce qu’a vécu Kamto en 2018, avec arrestation et détention arbitraire.
6. L’oubli (volontaire) des véritables revendications démocratiques Ce que Sindjoun passe sous silence, c’est l’essentiel : l’exigence d’élections libres, d’un organe électoral indépendant, du respect des libertés fondamentales, et de l’égalité des candidats dans la compétition politique.
Il préfère les détours symboliques, les plaidoyers moralisants, et l’hagiographie présidentielle. Mais il ne répond pas à la demande pressante d’un vrai changement de culture politique.
7. La sacralisation de Paul Biya comme homme irremplaçable Décrire le président Biya comme un leader « qui rassure, qui assure, qui écoute, qui inspire » revient à lui conférer une dimension quasi messianique. Cela trahit un refus obstiné de l’alternance démocratique. Prétendre que 2025 n’est « qu’une élection comme les autres » tout en glorifiant un président irremplaçable est une contradiction majeure. C’est le coeur de la stratégie du régime : simuler le pluralisme, mais le rendre impossible dans les faits.
Conclusion : Quand le vernis intellectuel dissimule le verrouillage démocratique Luc Sindjoun ne défend pas un débat pluraliste, il bâtit un récit verrouillé. Il présente l’opposition comme immorale, le président comme sacré, et la jeunesse comme dangereuse si elle ose rêver d’autre chose. Ce type de tribune confirme l’urgence de surveiller de près le processus électoral de 2025. Il démontre aussi comment des mots bien choisis peuvent servir des causes très sombres. Quand une démocratie doit s’exiler pour respirer, il est temps de la ramener à la maison.
»Les propos tenus dans cette tribune n’engagent que leur auteur »