Par Pr Jean Calvin ABA’A OYONO
La genèse française du droit constitutionnel et ses résonances camerounaises contemporaines
La genèse française des concepts de droit constitutionnel est précieuse pour qui souhaite comprendre le destin du débat juridique en cours au Cameroun. En effet, à un moment donné de l’histoire institutionnelle de la France, il a fallu enterrer la monarchie. Ce contexte a vu surgir une lutte pour le contrôle du pouvoir entre la bourgeoisie montante et les masses prolétariennes.
Une question fondamentale s’est alors posée : qui sera désormais souverain, une fois le Roi déchu ? C’est dans cette dynamique qu’ont émergé deux notions opposées : le mandat impératif et le mandat représentatif.
Dans le cadre du mandat impératif, le pouvoir appartient au peuple, conformément à la théorie de la souveraineté populaire. L’élu y est lié strictement par la volonté de ses électeurs. En revanche, le mandat représentatif consacre la souveraineté nationale : l’élu agit au nom de la nation tout entière et n’est plus tenu de suivre fidèlement les consignes de ceux qui l’ont élu.
Retour au contexte camerounais
Un bref rappel du contexte sociopolitique camerounais permet d’éclairer les enjeux d’un débat juridique qui prend, à tort, une ampleur médiatique inutile. Il s’agit ici de la candidature de Maurice KAMTO, investi directement par le MRC pour l’élection présidentielle à venir.
Le constat est simple : le pouvoir a peur de Maurice KAMTO. Autrement, il n’aurait pas été nécessaire de diffuser dans l’opinion une controverse artificielle sur une prétendue inéligibilité. La sagesse populaire ne dit-elle pas que les enfants ne jettent des pierres qu’aux arbres qui portent des fruits ? Par contre, face à un arbre stérile, ils passent leur chemin. Il ne faut donc pas s’étonner si des stratégies souterraines, notamment le tribalisme érigé en méthode de gouvernance, cherchent à faire croire qu’un Camerounais issu d’une certaine région ne pourra jamais devenir Président de la République.
Cette campagne insidieuse repose sur une jalousie à peine voilée envers un peuple dont le dynamisme, l’esprit entrepreneurial et la solidarité ne sont plus à démontrer. Une telle manœuvre traduit une dérive morale et politique manifeste.
L’argument juridique : une lecture erronée du droit
Certains avancent que, n’ayant pas participé aux dernières élections locales et législatives, le MRC serait disqualifié pour investir un candidat à la présidentielle. Cet argument est non seulement fallacieux, mais aussi contraire à la Constitution. Le préambule de la Loi fondamentale camerounaise stipule clairement :
« Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas. »
Aucune disposition électorale ne contraint le président du MRC, Maurice KAMTO, à renoncer à sa candidature sous prétexte qu’il aurait appelé au boycott d’élections antérieures.
L’article 121(2) du code électoral en question
L’autre argument mobilisé est celui de l’article 121(2) du Code électoral, selon lequel la représentation parlementaire est une condition nécessaire pour qu’un parti puisse présenter un candidat à la présidentielle. Cet argument est juridiquement contestable à la lumière de la hiérarchie des normes.
La Constitution, au sommet de cette hiérarchie, dispose en son article 2(1) :
« La souveraineté nationale appartient au peuple camerounais (…). Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en approprier l’exercice. »
Et l’article 15(2) précise :
« Chaque député représente l’ensemble de la Nation. »
La Constitution institue donc le mandat représentatif, transpartisan, au-dessus des logiques partisanes. Elle rejette explicitement le mandat impératif en proclamant sa nullité (article 15 alinéa 3). Il est dès lors clair que la loi électorale ne saurait prévaloir sur la Constitution.
De la suprématie de la Constitution sur la loi
Dans un style volontairement imagé, j’ai un jour posé la question suivante :
Que vaut le « Kitoko » qu’est la loi parlementaire face au « Chivas » qu’est la Constitution ?
Rien. La Constitution prévaut.
L’article 121(2) est donc entaché d’inconstitutionnalité manifeste. En cas de conflit entre une loi et la Constitution, cette dernière l’emporte toujours. La France, dont le Cameroun s’inspire juridiquement, l’a rappelé dans sa célèbre décision du Conseil Constitutionnel en 1985 sur le statut de la Corse. De même, la Cour de cassation française rejette l’application de toute loi contraire à une norme supérieure.
Les organes chargés de la validation des candidatures ont donc l’obligation juridique d’écarter cette disposition illégale. Appliquer une loi inconstitutionnelle relève d’une faute juridique.
Le principe jurisprudentiel de la Cour Suprême camerounaise
Maurice KAMTO ne saurait subir les conséquences d’une loi erronée. Le principe général du droit, tel que consacré par la Cour Suprême dans sa jurisprudence administrative, repose sur la maxime latine :
« Nemo auditur suam propriam turpitudinem allegans. »
Traduction :
« Nul, pas même l’administration, ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour faire supporter à autrui ses erreurs. »
(Cf. Jugements n° 24 du 25 février 1982, NOMENY NGUISSY Emile, et n° 60 du 28 avril 1983, MBOUS Jacques.)
Quand le droit est instrumentalisé par la politique
La controverse juridique actuelle est artificielle. La Constitution est claire, et sa suprématie est indiscutable. Le droit positif ne peut être occulté par des manœuvres politiciennes. Il faut résister à cette tentative de manipulation de l’opinion, visant à créer une illusion de disqualification.
Il est d’ailleurs absurde de constater que la transhumance politique d’élus de l’opposition vers le RDPC n’a jamais suscité d’indignation. Mais que le mouvement inverse provoque une levée de boucliers témoigne de l’instrumentalisation flagrante du droit à des fins partisanes.
Le but est clair : tenter d’enterrer la candidature de Maurice KAMTO en vue de l’élection cruciale d’octobre 2025.
Une nation éveillée face à une stratégie dépassée
La manœuvre est désormais visible. La main invisible du pouvoir, dans sa tentative de diversion, ne passe plus inaperçue. La candidature du « champion naturel » du RDPC est aujourd’hui judiciairement bousculée par un adversaire intrépide, qui refuse de jouer le jeu des applaudissements dociles.
Pendant ce temps, le bilan accablant du pouvoir en place, après près de 50 ans d’une gouvernance stérile, continue de peser lourdement sur la conscience nationale. Le vote-sanction viendra, dans le secret de l’urne.
Alors, enfin, le Cameroun pourra espérer être gouverné par des hommes et femmes engagés au service du peuple, et non pour la perpétuation de leurs privilèges.
Conclusion : Le droit, pas la diversion
L’actualité politico-juridique camerounaise rejoint l’héritage des grandes figures du passé. Sieyès, prêtre et théoricien de la souveraineté nationale, inspire encore. Aujourd’hui, les prises de position de Mgr KLEDA et du clergé dans son ensemble rappellent le rôle que l’Église peut jouer dans la défense des fondements républicains.
Il est temps de retourner au droit, et de rejeter toute tentative d’instrumentalisation politique de la loi.
Le Cameroun mérite un débat démocratique fondé sur la vérité juridique et la justice constitutionnelle.